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les bidouilles de Franky

31 mars 2011

Evidemment

Evidemment, la serrure était rouillée et elle dut s’escrimer de longues minutes avant de parvenir à y faire tourner la clé. Le vent de novembre faisait voleter les dernières feuilles mortes autour d’elle. Au loin, un orage montait de la mer grise. Enfin, le pêne se libéra dans un claquement et elle s’arc-bouta pour ouvrir la porte qui finit par céder en un long  grincement, repoussant un amas de lettres et de prospectus… « ben dis donc, ça fait un moment que personne n’est venu ici… Tu m'étonnes… Remarque, t’as vu l’endroit ? Qui viendrait dans un bled aussi paumé ? Faut habiter ici pour y rester ! ». La petite voix de sa tête, avec qui elle entretenait de longues conversations, venait de se manifester. Elle continua à voix haute : «tu parles d’un héritage ! » et l’écho qu’elle éveilla dans l’entrée sombre la fit frissonner.
La maison était une de ces monstruosités XIXème comme il y en a tant sur la côte normande : deux étages de faux colombages et un toit hérissé de clochetons et de girouettes, il y avait même un belvédère d'où on devait découvrir un large paysage... Elle se promit d'aller voir. Le tout était entouré d'un assez grand jardin, sans doute vestige d'un parc : il y avait des statues de faunes et de nymphes verdies de mousse et même un bassin comblé de feuilles. L'ensemble dégageait une impression assez sinistre, cerné comme il l'était par les arbres dénudés, les buis retournés depuis longtemps à l'état sauvage, d'anciens massifs envahis de ronces et d'orties géantes...
« Bon, ça y est, t'en as assez vu ? Alors rentre, avant de prendre la saucée qui s'amène »... « T'as raison » marmonna t 'elle en pivotant sur ses talons. De fait, l'air fraîchissait et le jour venait de se teinter de mauve tandis que des nuages ventrus, poussés par le vent d'ouest, envahissaient tout le ciel, étouffant la lumière de cette fin d’après midi.
Jetant un dernier coup d’œil par dessus son épaule, elle s'assura que les vitres de la Golf qu'elle avait garée, plantée plutôt, prés d'un araucaria qui s'obstinait à ne pas mourir, étaient bien fermées. Au delà de la grille qu'elle avait renoncé à refermer, et de la digue, des rouleaux aux reflets d'étain s'abattaient sur la plage... Ses cheveux malmenés par le vent, elle franchit le seuil.
Tâtonnant sur le mur à sa droite, ses doigts finirent par trouver un antique commutateur qu'elle actionna par deux fois « clic clic ! Que la lumière soit ! Ben non, y a pas de lumière... Tu croyais quoi ? »... « T'as encore raison », dit elle, « mais comme je suis une fille prévoyante, j'ai ce qu'il faut ». Se retournant, elle attrapa un sac de voyage fatigué qu'elle avait posé plus tôt sur le perron, ouvrit une des poches et exhiba une lampe torche flambant neuve... « Et tu sais quoi ? J'ai même pensé aux piles ! ».
La torche découpait un mince rayon de lumière dans le hall obscur, accrochant ici et là un reflet sur un cadre, une lueur sur un meuble, les premières marches de l'escalier desservant  l'étage. Une double porte ouvrait sur un salon de belles dimensions où des fauteuils recouverts de housses semblaient monter la garde. « Autant commencer par là, qu'est ce t'en dis ? ». Elle se dirigeait vers la pièce quand les premières notes de l'ouverture de « Guillaume Tell » éclatèrent, incongrues, dans le silence. « Merde ! Mon portable ! ». Elle fouilla fébrilement ses poches pour faire taire l'engin. « Allez, réponds ! » dit la petite voix « c'est sûrement ta môman ! ». « A tous les coups... » dit elle en décrochant.
Aussitôt la voix de sa mère lui vrilla les oreilles, elle ne pouvait s’empêcher  de hurler en parlant au téléphone : « Ah ! Enfin! Elise, ma chérie, mais je me faisais un sang d'encre! Tu aurais pu m'appeler, tu ne penses jamais à moi, je reste à attendre tes coups de fil et je m'inquiète et tu n'appelles pas, tu pourrais faire un effort, je suis ta mère tout de même! Ton voyage s'est bien passé, pas trop de monde sur la route ? Et la maison ? Comment c'est ? Quelle idée bizarre tu as eue de partir tout courant comme ça, sans même en parler... »
Une longue habitude des soliloques de sa mère lui permit, comme toujours, de ponctuer cette rafale de questions qui n'attendaient nulle réponse de borborygmes et de mots monosyllabiques qui n'engageaient à rien : « Oui... Pas pu... Non... Ca va... je te l'ai dit... Bon, O.K, je te rappelle plus tard... Bises M'man ».
Elle raccrocha, partagée entre soulagement et exaspération, sentiment familier lors de ses relations avec sa mère...
« Bon , j'en étais où, moi? ah, oui ! Le salon, explorons, explorons ! », dit elle en franchissant le seuil de la pièce, odeurs mêlées de poussière, de sel, de relents d'encaustique. Sa main caressa au passage ce qui semblait être une bergère Louis XV qui, flanquée de trois fauteuils, formait un coin salon de part et d'autre d'une cheminée imposante. Le reste de la pièce était occupé par  une table et six chaises, un buffet et une desserte. S'achevant en rotonde, cette salle ouvrait sur la façade par deux grandes baies vitrées closes par des persiennes de tôle si rouillées qu'elle renonça à les ouvrir.
« Bon », dit la petite voix, « on verra ça demain. Moi, j'irais bien voir où est la cuisine, des fois qu'il y ait quelque chose à manger. T'as pas faim toi ? ». « Si un peu... L'air de la mer... ».
Elle avait depuis longtemps l'habitude de ces conversations à voix haute avec elle même et ne remarquait même plus les regards étonnés ou faussement apitoyés que cette pratique ne manquait pas de susciter dans son entourage.
« Alors la cuisine » dit elle. « Si la salle à manger est là, ça ne devrait pas être loin... ». S'éclairant de sa torche, elle traversa la pièce et poussa une porte qui s'ouvrait sur une cuisine spacieuse. Des chapelets d'aulx et d'oignons pendaient du plafond et une batterie d'ustensiles en cuivre était accrochée au mur, entre un évier de grès et une cuisinière à bois. Le reste de l’ameublement consistait en une grande table avec deux bancs et des placards aux portes patinées par le temps.
« Tout juste Auguste, la voilà ta cuisine » dit elle en ouvrant les placards, qui ne contenaient que des piles d'assiettes et des rangées de verres. Une petite porte donnait sur une resserre aux murs tapissés d'étagères couvertes de bocaux de conserves manifestement artisanales. « Ben voilà! Y a de quoi soutenir un siège ! », dit la petite voix. « C'est sûr, mais je m'y risquerai pas... et puis comment faire cuire ? T'as envie de bricoler l'antiquité d'à côté ? Bon, ce soir ce sera restau, s'il y en a un d'ouvert dans ce trou... » répondit elle. « En attendant, j'ai pas encore tout vu... ».
Elle sortit de la cuisine, retraversa le hall et ouvrit la première porte prés  de l'entrée, à la gauche de l'escalier. C'était une grande chambre au lit couvert d'une courtepointe de satin d'un rose défraîchit. Tout un mur était occupé par une bibliothèque dont les rayonnages ployaient sous le poids de livres aux reliures usées. Juste à côté, un fauteuil crapaud sous un lampadaire et une table rognon attestaient du goût de la lecture de l'ancien occupant des lieux.
Une porte au fond de la pièce donnait sur une salle de bains : carrelage vert d'eau, lavabo vieillot, un w.c. et une incroyable baignoire ventrue aux pieds en forme de pattes de lion.
« Bon déjà, tu sais où tu dors cette nuit », dit la petite voix. « Yep ! Et aussi où on fait pipi dans cette maison! » dit elle en se troussant rapidement et en s'asseyant sur la porcelaine glacée pour se soulager.
« Bon », dit elle en se rajustant, « j'en ai assez vu pour ce soir, maintenant, j'ai faim, allons manger. T'en es ? ». « Ben évidemment ! » répondit la petite voix.
 (à suivre)

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